Plus de 50% du portefeuille de la BAD est concentré sur l’Afrique du Nord, ce qui l’expose aux conséquences du printemps arabe. Jusqu’où l’institution pourra-t-elle résister aux contraintes techniques, financières et surtout humaines ? Focus.
Mises à part quelques mesures de prudences prises au plus fort des perturbations, la Banque africaine de développement (BAD) a passé le printemps arabe sans beaucoup de soucis. Pourtant, 50% du portefeuille de l’institution panafricaine est concentrée sur l’Afrique du Nord. Jusqu’où cette exposition peut-elle détériorer la qualité du risque de la banque présidée par Donald Kaberuka ? L’inflation des ressources humaines, sans commune mesure avec des banques de développement similaires, ni avec le portefeuille, est-elle un facteur de risque ? L’arbitrage nécessaire dans les investissements entre le politique et le rentable se fait-il toujours au profit de ce de dernier paramètre ? La question sensible de la gestion des susceptibilités et des sensibilités entre ouest-africains et est-africains est-elle suffisamment prise en considération dans les réunions du conseil d’administration ? Voilà autant de questions qui divisent aujourd’hui les pays actionnaires, membres régionaux et non régionaux.
Des questions qui font fuir tous les collaborateurs de la Banque, peu désireux de donner leur avis sur des sujets hautement sensibles. Sur le plan technique, la Banque se porte bien si l’on en croit le dernier rapport Moody’s. «Bien capitalisée, liquide, avec une signature crédible, la Banque africaine est parée pour affronter des crises politiques majeures», comme le répète cet expert. «Oui, vous avez raison, une banque, qui compte des milliers de personnes, s’expose nécessairement à la gestion, bonne ou mauvaise, du facteur humain », argue-t-il, avant de se transformer en huître devant l’empressement de nos questions à savoir si ce risque était pris en compte dans le management actuel.
Des membres solides
Du reste, la Banque africaine de développement est notée AAA par Moody’s, avec perspective stable. En langage clair, cela veut dire que la Banque est, à paramètres constants et immuables, parée contre le défaut de paiement pour au moins 1000 ans. En dehors des subprimes et de Lehman Brothers, rarement les jugements des agences de notation ont été pris en défaut. A cela il faut ajouter, au profit de la solidité de la banque, des actionnaires membres non régionaux solides disposés à venir à la rescousse en cas de besoin et qui sont bien notés. En effet, environ 36% des pays membres sont notés triple A et 12 % AA. Les 6 augmentations de capital opérées depuis 1964 attestent de cette volonté des 77 actionnaires (dont 54 africains, 24 de l’OCDE et du Moyen Orient) à accompagner l’institution panafricaine.
La règle des 60/40 tiendra-telle longtemps ?
La toute dernière augmentation de capital, intervenue en 2010, à un taux de 200%, a battu un record. Le capital autorisé a triplé, atteignant 100 milliards de dollars. De nouvelles augmentations ne sont pas exclues, compte tenu des nouveaux actionnaires potentiels qui frappent à la porte. Il s’agit du Sud-Soudan, de la Turquie, de l’Australie et du Luxembourg. En filigrane se pose la question de la répartition du capital entre membres régionaux et non régionaux. La règle des 60/40 au profit des actionnaires africains tiendra-telle encore longtemps longtemps ? Il en est de même de la gouvernance actuelle du conseil d’administration dont les décisions doivent être prises à la majorité des deux tiers de membres aux droits de votes équivalents à leurs participations dans le capital. C’est le Conseil d’administration qui coopte le Comité directeur composé de 13 représentants des membres régionaux et 7 représentants des membres non régionaux. Là aussi les décisions sont prises à la majorité des deux tiers. Les prises de décisions démocratiques du conseil et du comité d’administration concernent-elles les deux secteurs, publics et privés de la Banque ? Quelles sont les règles qui prévalent dans l’arbitrage des fonds.
16 pays africains «gâtés»
En dehors des deux guichets concessionnels de la Banque (le fonds de la Banque africaine lancé en 1972 et financé par des donateurs gouvernementaux non africains à l’exception de l’Afrique du Sud et le fonds nigérien lancé en 1976), les services de la BAD sont seulement accessibles à 16 sur 54 pays, à travers 25 représentations dont 5 en tant que bureaux régionaux et un personnel de 900 personnes. La poursuite du processus de décentralisation devra rendre l’institution moins exposée aux risques politiques (Côte d’ivoire et Tunisie) et lui apporter la garantie de continuité de service. Le portefeuille de la banque et de ses fonds sont exposés aux risques de 30 pays. A l’avenir le modèle repose sur une progression des ressources. D’ici 2020, celles-ci doivent augmenter à raison de 0,5 milliards de DTS par an. Ce qui permettra à l’institution d’absorber plus de risques et d’augmenter son portefeuille. Sur les cinq prochaines années, la BAD prévoit de consacrer 3,6 milliards DTS à ses membres, avec une répartition de 60% au secteur public et 40% au privé. Les secteurs prioritaires sont les projets d’infrastructures, l’éducation, la science et la technologie.
Management du risque
En dépit de sa notation maximale (triple A) la banque africaine reste exposée comme toute institution financière aux trois principaux risques que sont le risque de marché, de contrepartie et opérationnel. Le risque de contrepartie est atténué par une démarche rigoureuse de sélection de dossiers en plus d’un recours au collatéral et à la couverture par les produits dérivés. Quant au risque de change, il est géré à travers une balance de monnaies des emprunteurs et des créditeurs de la Banque. Pour ce qui est du risque de liquidité, il est géré de manière à ce que la banque puisse toujours couvrir 70% de ses dettes à cours terme. Depuis 2011, la banque s’est renforcée à ce niveau de la gestion du risque avec plusieurs paliers pour suivre la liquidité. L’objectif à ce niveau étant de pouvoir assurer le besoin en cash flow sur une année sans recours au financement extérieur. A la fin mars 2012, les liquidités de la Banque étaient estimées à 6,9 milliards en DTS soit 1,27 fois le minimum requis.
Une rentabilité en recul
En 2011, la Banque a dégagé 164 millions DTS de bénéfices contre 213 millions une année auparavant. Notons que sur la période 1999, la profitabilité mesurée par le ratio résultat net sur fonds propres est en nette diminution (Voir tableau). Par contre, la marge sur intérêts de la banque a progressé, passant de 1,6 en 2011 à 2,2 dans le premier trimestre 2012. Cette tendance à la baisse des profits n’a pas beaucoup de conséquences pour la BAD qui n’est pas une banque commerciale. Avec des actionnaires engagés, une exposition maîtrisée sur les pays non investment grade et une solide capitalisation, l’institution panafricaine justifie bien sa note AAA. L’augmentation de capital de 100 milliards de dollars permet en plus d’envisager l’avenir avec sérénité. Notons que la contribution des différents actionnaires est étalée sur le temps.
Le Koweït traîne des pieds
Ainsi, les membres non éligibles au guichet central se sont vus attribués un délai de 12 ans pour apporter leurs parts relatives à l’augmentation de capital. Les autres membres devront le faire dans un délai de 8 ans. Des 73 pays qui ont approuvé l’augmentation de capital, seul le Koweït n’avait pas encore déposé ses engagements de souscription, à l’heure où vous lisez ces lignes. Quelque 66 pays l’avaient fait avant la date limite de la fin juin 2012 et 5 par la suite. Les parts non allouées peuvent être achetées par d’autres membres, ce qui donne à la Banque la garantie de rentrer dans ses prévisions de fonds. A l’inverse du Koweït, l’Espagne a été le premier pays a payé sa quote-part en une seule fois.
Maurice, Canada et Danemark
l’ont fait en mode accéléré… Le capital souscrit a progressé, passant de 36,8 milliards de dollars en 2010 à 57,3 milliards en 2011. A la fin 2011, le capital disponible de la BAD (reserves, revenus et capital souscrit) s’élevait à 4,88 milliards en Droits de Tirage Spéciaux contre 4,82 DTS en 2010. Les réserves de la banque qui proviennent des bénéfices non reversés aux actionnaires s’élevaient à 2,5 milliards DTS à la fin 2011.
Des fonds propres qui progressent moins vite que le portefeuille
Il n’en demeure pas moins que les fonds propres de la Banque progressent moins vite que l’encours de ses engagements. Le ratio entre ces fonds propres et les engagements n’était plus que de 53% en 2011 contre 59 % en 2010. Ces fonds propres couvrent 86% des engagements risqués de la banque à la fin 2011 contre 77% une année auparavant. Notons que ce ratio est de 75,2 % à la Banque mondiale et de 118 à la Banque islamique de développement (BID). Dans tous les cas, la banque repose sur un monitoring de risque adopté en interne et qui ne permet pas aux engagements totaux d’atteindre 100% du capital disponible (réserves, fonds propres et parts versés par les pays notés Aa3 et plus). Ces engagements ont atteint un pic de 84% en 2010 mais ont depuis reculé à 55% à la fin 2011 mais devraient de nouveau augmenter avec l’élargissement du portefeuille de la Banque.
Exposition sur l’Espagne et l’Italie
En termes d’actifs de trésorerie, la BAD totalisait 7,9 milliards en DTS dont 4,9 sous forme de placements. ce dernier compartiment est assez liquidité composé à 50% de maturité sous 6 mois. Ces actifs de trésorerie sont investis en général dans des obligations gouvernementales, des garanties d’Etat et d’institutions supranationales. La Banque déclare ne pas être exposée à la Grèce et au Portugal, présentant toutefois des investissements estimé à 133 millions DTS sur l’Espagne et 112 millions de DTS sur l’Italie. Ces expositions ne contribuent pas à améliorer la qualité du portefeuille de la BAD, attentive par ailleurs à la dégradation de la note souveraine de la Tunisie et de l’Afrique du Sud ainsi qu’à l’abaissement de la perspective du Maroc, son tout premier client. Selon les analystes, l’accélération de l’investissement vers le secteur privé devrait aussi se ressentir sur la qualité de la signature de la banque. Des 53 pays africains, seuls cinq (Botswana, Afrique du Sud, Maurice, et Namibie) sont notés investment grade sur l’échelle de Moody’s. Le portefeuille de la Banque reste concentré à 65% sur ces cinq premiers clients.
source : http://www.lesafriques.com/