Les pays de l’Union européenne sont tous dans l’œil du cyclone. Ce qui s’est nettement répercuté sur l’euro, leur monnaie unique. Néanmoins, la chute brutale de cette dernière pour atteindre la barre de 1,24 contre le dollar américain, n’a pas atteint le véritable seuil de risque. D’autant que les lignes rouges se situent au niveau d’un euro qui vaut moins de 1,15 dollar. Cela dit, il est prématuré de dresser un bilan, à court terme, des effets de cette crise sur les économies des pays du Maghreb qui souffrent déjà des effets socio-économiques, voire d’ordre sécuritaire, de ce phénomène. Pourtant, les économistes des pays maghrébins ont été pressés d’entamer les débats, sans avoir pour autant les statistiques exactes, encore moins les estimations des entreprises et des centres concernés.
Les économistes maghrébins ont des analyses différentes et des divergences d’idées concernant les effets de la crise européenne sur les économies et la finance de leurs pays. Les experts chargés des dossiers économiques avec le Maghreb n’ont pas précisé leurs points de vue vis-à-vis des répercussions sur les différentes parties concernées. Notamment qu’il existe des partenariats économiques signés entre elles depuis plusieurs années. Et qu’une grande masse des échanges commerciaux s’effectue entre eux. Les Européens considèrent que les Maghrébins ne doivent miser ni sur la faiblesse de l’euro ni sur la situation difficile des économies de la zone euro. Ils estiment que leurs relations économiques sont le résultat d’une « fatalité géographique, politique et culturelle ». Malgré les difficultés économiques et financières qui perdurent depuis 2009, les pays de l’Union européenne ne cèderaient pas sur un marché dont le nombre de consommateurs dépassent 200 millions. Ni sur les intérêts géostratégiques en Afrique du Nord.
La Tunisie est le pays maghrébin le plus touché par la crise de la zone euro, d’autant que sa monnaie nationale, le dinar, est de plus en plus liée à l’euro, et n’a pas baissé de manière significative. Force est de rappeler que l’Europe constitue le premier client, le premier fournisseur et le premier investisseur dans ce pays. Toute déstabilisation des économies des pays de la zone euro aura sans doute des effets néfastes sur l’économie tunisienne. Même si la facture de l’importation en euros pourrait être relativement réduite, le reste des facteurs pèserait lourdement sur ce budget. D’autant que la situation économique et financière depuis le changement est en nette régression. Il suffit de compter le nombre des entreprises européennes qui ont fui la Tunisie depuis le début de 2012, les autorités tunisiennes concernées refusant d’ailleurs d’en évoquer le nombre ou les secteurs.
Cette fuite des sociétés européennes pourrait augmenter, notamment après la montée en puissance des salafistes et l’impuissance du gouvernement en place, dirigé par Ennahda, à la contrecarrer. Alors que les Européens, malgré leur crise, montrent un intérêt particulier pour l’Algérie et le Maroc, ils ne sont pas très chaleureux envers la Tunisie. Un exemple concret dans ce sens, la révision de la Banque européenne d’investissement (BEI) dans le financement de plusieurs projets de développement déjà mis sur les rails. Cela alors que la Tunisie est en tête des pays maghrébins qui profitent de la manne de cette institution financière européenne et de son instrument, la Femip.
Croissance à la baisse. Pour Lotfi Khedir, directeur de l’Observatoire du commerce extérieur tunisien (OCE), la crise de la zone euro a des conséquences négatives sur tous les plans. D’autant que les échanges commerciaux de ce pays dépendent à hauteur de 80 % de la demande européenne, alors que les entreprises offshore installées en Tunisie assurent 20 % des emplois (environ 320 000 personnes). La décision de la Banque centrale européenne (BCE), qui avait déjà révisé la croissance économique à la baisse, dans son rapport publié le 10 novembre 2011, et, de là, les échanges commerciaux et les investissements dans le cadre de l’austérité visant à redresser la situation économique et financière dans la zone euro, a pesé très lourd sur la performance de l’économie tunisienne.
À Tunis, les économistes s’attendent à tous les scénarios. Plus particulièrement lorsque les intentions concernant les grandes commandes ont sensiblement baissé. Pis encore, la réticence des investisseurs dans le secteur de la transformation et de la technologie. Autre indice perturbant, le ralentissement grandissant des exportations, un des piliers de l’économie tunisienne. Ces exportations vers l’Europe sont passées de 20,9 % au cours du premier semestre à 15 %. Un chiffre qui pourrait encore baisser si la crise européenne perdure et si le régime en Tunisie n’arrive pas à gouverner et à assurer la stabilité. Au niveau du patronat français, à titre d’exemple, les exportations tunisiennes ne cessent de chuter, de 33,9 à 20,5 %, tandis que celles destinées au marché allemand sont passées de 12,5 à 10,7 %.
Face à la dégradation de la situation économique en raison de la crise européenne, des voix appellent à Tunis à se retourner vers les pays voisins, membres de l’Union du Maghreb arabe (UMA). Ce qui explique la visite du Premier ministre tunisien, Hamadi Jebali, au Maroc, et la signature de plusieurs accords économiques et commerciaux avec son homologue marocain, Abdelilah Benkirane. Cette configuration est quasi impossible pour l’Algérie tant qu’il y a un gouvernement islamique qui dirige l’Exécutif en Tunisie. Pour preuve, Alger avait accordé au gouvernement de Béji Caïd Essebsi 100 millions de dollars pour aider l’économie tunisienne.
Orientation. Quant à l’orientation vers la Libye, les relations entre les deux nouveaux pouvoirs – à part celles qui lient le patron d’Ennahda à Tunis, Rached Ghannouchi, au président du Conseil national de transition (CNT) en Libye, Mustapha Abdel Jalil – qui s’affaiblissent au fil des jours, n’ont pas porté leurs fruits. La fermeture des postes frontières comme Ras Jdeir, l’attaque du consulat de Tunisie à Benghazi par les salafistes, le refus d’importer les produits tunisiens – sauf par la voie de la contrebande et du marché noir – montrent que la thèse de remplacer le partenaire européen par le partenaire maghrébin est loin d’être gagnée.
L’autre thèse appelle à se retourner vers l’Afrique subsaharienne et à réviser ses politiques de manière positive vis-à-vis de cette région. Le gouvernement tunisien croit tirer profit du Système général des préférences (SGP), adopté récemment par le Congrès américain, pour développer ses ventes sur les États-Unis. Certains responsables tunisiens encouragent la consommation des produits locaux pour booster l’activité économique et commerciale. Mais cette thèse n’aura pas de retombées, d’autant plus qu’acheter tunisien ne pourrait guère remplacer une petite part des exportations vers l’Europe ni vers les voisins, en premier desquels l’Algérie. L’ouverture économique faite par l’ancien régime, et la signature de l’accord de partenariat avec l’Union européenne, ont habitué les Tunisiens à consommer européen.
La Banque centrale tunisienne (BCT) et son gouverneur, Mustapha Nabli, ont examiné les répercussions de la crise de la dette souveraine dans les pays européens et ses résultats sur les relations économiques avec la Tunisie. Les statistiques et les chiffres publiés par cette institution monétaire nationale ont créé des divergences et des tensions pour le gouvernement en place. Ce dernier n’a pas accepté le contenu des rapports de la BCT parlant de la poursuite des pressions sur l’activité économique, notamment de la lenteur du rythme de la croissance, du ralentissement des exportations, du recul des recettes touristiques, et de la contraction de l’investissement interne et externe.
Ce qui s’applique à l’économie tunisienne ne s’applique pas pour l’Algérie. Ses revenus pétroliers dépassent 75 milliards de dollars alors que ses réserves en devises vont au-delà de 200 milliards. Ce qui lui donne une autonomie vis-à-vis de l’Europe et son euro. Le schéma des retombées de la crise européenne sur l’économie algérienne est vu autrement que celui de la Tunisie.Néanmoins, certains économistes algériens pensent que des répercussions sont évidentes à moyen terme. Ces derniers estiment, le cas échéant, que cette crise doit contribuer à l’augmentation de la facture des importations. Un fléau dont le gouvernement peine à réduire l’impact. Cette crise devrait aussi réduire les exportations des hydrocarbures, freiner l’immigration vers l’Europe et entraver les négociations sur la révision du calendrier du démantèlement tarifaire entre l’Algérie et l’UE.
Toutefois, les pays européens demeurent les principaux partenaires commerciaux de l’Algérie avec 51 % des importations et 49,3 % des exportations en 2010. Les États-Unis viennent en tête, suivis par l’Italie, l’Espagne et la France. Côté fournisseur, la France occupait en 2010, la première place, suivie par la Chine. Dans ce cadre, le vice-président du CNES, Mustapha Mekidèche, a indiqué que la crise de l’UE aura un impact important sur l’Algérie, en raison de la baisse des exportations des hydrocarbures vers l’Europe, notamment l’Italie, l’Espagne et plus tard la Grande-Bretagne. Ce qui poserait un sérieux problème au niveau des recettes en devises si cette crise perdurait.
D’autres économistes algériens considèrent qu’avec un euro faible les importations seront moins chères et que les consommateurs algériens pourraient profiter de la crise de l’UE. Cependant, beaucoup d’indices montrent que les Algériens ne sont pas près de sentir les répercussions positives sur leur économie et leur finance. Cette baisse de l’euro participerait-elle à la réduction de la facture des importations et du prix des produits importés ? Même si le dinar est renforcé par la baisse de l’euro, la parité entre les deux monnaies n’évolue pas dans les mêmes proportions que la parité euro/dollar. À cet égard, des sources proches de la Banque d’Algérie (Banque centrale) estiment que si l’Algérie est globalement bénéficiaire en termes de facture d’importation, les importateurs ne seront pas bénéficiaires dans la même proportion. Car le taux de change du dinar est calculé par rapport à un panier de devises dans lequel l’euro représente 40 % contre 46 % pour le dollar. Ce qui rend les retombées de la faiblesse de l’économie de la zone euro moins importantes pour l’Algérie que pour la Tunisie ou le Maroc.
Maroc, la perturbation. Dans les milieux des affaires et de la finance au Maroc, on craint le pire pour l’économie si la crise des pays de la zone euro persiste en 2013. Beaucoup de plans et de projets sont déjà révisés à la baisse. C’est le secteur des exportations qui est le plus perturbé jusqu’à présent. Les responsables gouvernementaux suivent de très près l’évolution de la concurrence entre les entreprises locales et leurs homologues européennes qui cassent les prix avec la crise et la baisse de l’euro. L’exemple le plus marquant est celui des sociétés espagnoles qui montrent une agressivité sans précédent. Les entreprises espagnoles déposent leurs bilans par milliers et le taux de chômage dépasse les 25 %.
Par ailleurs, les analystes financiers de la place casablancaise affirment que la baisse du taux de change euro/dirham aura, contrairement à toutes les thèses, un impact négatif. D’ores et déjà, les entreprises marocaines ont perdu des points face aux entreprises des pays dont les devises sont attachées au dollar, comme la Chine, la Turquie ou encore l’Égypte.
Pour Saad ben Abdallah, directeur général du Centre marocain pour la promotion des entreprises (CMPE), l’activité à l’export a connu seulement une croissance de 2,5 % ces deux derniers mois. Un chiffre contesté par certains chefs d’entreprises. Ces derniers indiquent qu’il y a maintenant une crise de la demande et non de l’offre.
D’autre part, l’impact sur les transferts des Marocains résidents à l’étranger (MRE), notamment en Europe est négatif, même si les autorités concernées tentent de le minimiser. Aucune prévision n’a été donnée, alors que chaque année les prévisions étaient faites au 15 mai. Le montant des transferts va certainement baisser à cause de la dépréciation de l’euro. Quant à la dette du Maroc, ses charges vont baisser à la suite de l’appréciation du dirham vis-à-vis de l’euro. Étant donné qu’une grande partie de la dette marocaine est libellée en euro, la situation est à l’avantage du Maroc.
source : http://www.arabies.com