Quand les enquêtes sur les manipulations de marché et fraudes bancaires se multiplient, peut-on surveiller les banques ? C'est le pari qu'a fait l'association Finance Watch, qui emploie des universitaires spécialisés en finance et des anciens banquiers reconvertis, explique l'un des créateurs de l'association basée à Bruxelles, Thierry Philiponnat.
Le lobby bancaire est-il en train de gagner ?
Il y a une interaction malsaine entre les banques et les Etats et l'on voit indubitablement la pression augmenter sur les responsables politiques. Mais chez nous, qui représentons 100 millions de citoyens européens, nous pensons que la finance doit servire l'économie et la société et non l'inverse.
On ne veut pas mettre le système à bas, car la finance a un rôle d'intérêt général fort... à condition qu'elle soit encadrée. Aujourd'hui, par exemple, les banques ont réussi à convaincre les politiques qu'elles étaient "too big too fail" ("trop importantes pour pouvoir disparaître") alors qu'en réalité, elles sont "too big too manage" ("trop lourdes pour être correctement gérées").
Cela crée une situation d'autant plus néfaste que les banques européennes financent les Etats de la zone euro mais dépendent de ces Etats pour les sauver si elles font faillite du fait de l'incapacité de ces Etats à les rembourser ! Ce n'est simplement pas tenable.
Par ailleurs, on sait que les banques ont reçu près de 1 000 milliards d'euros de la Banque centrale européenne (BCE), et quand BNP Paribas affirme avoir prêté 150 milliards aux entreprises (lien abonnés), il faut se souvenir que son bilan avoisine les 2 000 milliards et que, dedans, il y a 750 milliards de produits dérivés.
Qu'attendez-vous des promesses du candidat François Hollande, notamment sur la réforme bancaire ?
Qu'il la tienne ! L'arrivée de Pascal Canfin au gouvernement ne nous a pas particulièrement ouvert de porte mais, sur ce sujet, nous aimerions que celle du ministère de l'économie le soit. Le communiqué de Pierre Moscovici (PDF), annonçant qu'il lançait cette réforme avec une consultation "auprès des représentants des banques et de la place de Paris, afin de lui faire des propositions pour les modalités de mise en œuvre de cette réforme", nous a prouvé qu'il y avait du travail à faire pour ouvrir le débat. Ce sera un de nos thèmes de lobbying de la rentrée.
Nous voulons aussi que la position des superviseurs soit plus claire sur le rôle des banques françaises dans l'affaire du Libor : pour dire qu'aucune banque n'est concernée, il faut le déterminer par une enquête. Or, celle-ci n'a jamais été lancée... C'est dommage car près de la moitié des produits dérivés dans le monde sont des swaps de taux d'intérêt, dont le niveau a de lourdes conséquences sur les entreprises et les ménages.
Nous ne voulons pas interdire de produits en particulier, sauf les produits dérivés sur les matières premières alimentaires (voir le dessin animé sur le site de l'association), mais réglementer les pratiques. Quand on sait que les produits dérivés représentent 12 fois le PIB mondial, on peut en déduire intuitivement que 90 % de ces produits financiers, censés "couvrir" des risques, n'ont aucune utilité dans l'économie réelle.
Quel regard portez-vous sur les moyens déployés face à la crise ?
Ce qu'on voit en ce moment, c'est la démonstration parfaite qu'on a une BCE qui ne permettra pas de sauver la zone euro. Elle dit, si l'on en croit Mario Draghi, vouloir faire tout ce qui est possible, mais "dans la limite de son mandat", qui est de combattre l'inflation. Or, l'inflation n'est pas un problème aujourd'hui : on se trompe d'ennemi.
Quant à notre monnaie, l'euro, elle est encore très incomplète : on ne peut pas faire tourner la planche à billets pour relancer l'économie, car on n'a pas d'union politique qui permettrait elle-même une union fiscale et budgétaire. L'union bancaire, qui autoriserait un contrôle plus important sur les quelque 6 000 banques de la zone euro – dont certaines sont à l'origine de la crise que nous connaissons aujourd'hui –, n'est pas envisageable sans tout cela. Pour mettre la finance au service de la société et relancer l'économie, il faut plus d'Europe.
source : lemonde.fr