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Le ministre de l’Intérieur veut restreindre l’entrée des immigrés sur le marché du travail. Son but : favoriser l’emploi de la main d’œuvre locale. Dommage que toute cette politique ne soit que du bricolage.



Guéant pense que la France n’a pas besoin de maçons ou de serveurs tunisiens. C’est sa justification pour réduire l’immigration professionnelle de 30 000 à 20 000 entrées par an. Mais, dans les faits, les premières contestations médiatisées de sa politique concernent des salariés hautement qualifiés et les étudiants des grandes écoles.
 
Le tout vient d’une circulaire du 31 mai  signée par le ministre de l'Intérieur et Xavier Bertrand, ministre du Travail. C'est une des premières concrétisations du nouveau discours en matière migratoire. Et cette circulaire est accusée de causer bien des tracasseries administratives pour les jeunes diplômés immigrés en quête d’un premier emploi. En effet, pour pouvoir travailler en France après leur diplôme, ces étudiants doivent demander un changement de statut et obtenir une carte de séjour « salarié » avec l’autorisation de travail qui va avec.
 
Guéant et Bertrand veulent serrer la vis dans ce domaine. Pour eux, les employeurs doivent réserver les emplois à la main d’œuvre locale, comme le prévoit le Code du travail. Ce code précise que, pour accorder les autorisations de travail, les préfets doivent examiner « la situation de l'emploi dans la profession et dans la zone géographique pour lesquelles la demande est formulée (…) et les recherches déjà accomplies par l’employeur (…) pour recruter un candidat déjà présent sur le marché du travail ». Cependant, il existe une liste de « métiers en tension », où il existe une forte demande de main d’œuvre, et pour lesquels le préfet ne peut brandir la situation du marché du travail pour refuser l'embauche d'un immigré. Toutefois, cette liste va être réduite par le ministère de l’Intérieur de 30 à 15 métiers libres d'accès.

Résultat, au vu des consignes strictes données aux préfets, les étudiants accusent le gouvernement de leur faire rater des promesses d’embauche. Mais contrairement à ce qu’écrivent certains médias, il n’y a pas stricto sensu d’interdiction de travail pour les étudiants étrangers. Pour autant, l’embauche de jeunes diplômés étrangers n'est pas une partie de plaisir.
 
Dans leur circulaire, Guéant et Bertrand demande aux préfets d’« examiner avec une particulière attention l’adéquation du diplôme avec l’emploi proposé » et aussi de refuser toute embauche d’un immigré pour le poste qu’il occupait durant ses années d’études (beaucoup d’étudiants de grandes écoles étant embauchés avant même d’être diplômés) si « cet emploi n’exige aucune qualification particulière et peut être pourvu par un demandeur d’emploi français ou étranger résidant régulièrement en France ou un autre étudiant ». Résultat : les démarches pour les étudiants s’allongent, les préfectures demandant de nombreuses pièces pour constituer les dossiers.
 
Cette controverse a été largement médiatisée, jusque dans le New York Times. Une manifestation de quelque centaines de personnes a également eu lieu jeudi dernier. Même à l’UMP, ça coince.  Pour autant, encore peu d’étudiants sont réellement concernés. De l’aveu même de Pierre Tapie, président de la Conférence des Grandes écoles, on compterait seulement « quelques dizaines de cas avérés » d’étudiants qui n’ont pu être embauchés à cause de la circulaire Guéant. Dans sa lutte, Pierre Tapie s’est d’ailleurs trouvé un allié : Maurice Lévy, président du lobby patronal de l’Afep, dont les motivations pour faciliter la venue de main d’œuvre étrangère ne sont par forcément celles de la Ligue des droits de l’Homme. Et leur message a été quelque peu entendu : même si la circulaire ne sera pas retirée. Laurent Wauquiez, ministre de l’Enseignement supérieur, a admis que son application « a pu être trop rigide ».

Serrage de vis
Ce serrage de vis, du moins dans les discours officiels, touche aussi les salariés plus expérimentés. En témoigne l’histoire de cet ingénieur libanais, embauché dans un premier temps par Air Liquide et à qui la préfecture de l’Isère a refusé son autorisation de travail au motif que l'entreprise devait prioritairement examiner les candidatures locales. Car la fameuse circulaire Guéant-Bertrand, se basant sur le Code du travail, demande aux préfets de refuser l’embauche d’un travailleur immigré si le secteur concerné possède un « taux de tension insuffisamment élevé » dans la région, en clair, s’il y a beaucoup trop de chômeurs locaux dans le secteur concernés ou s’il y a la « possibilité de former, dans des délais très brefs », de la main d’œuvre résidente.

Sur le papier, le discours de Guéant reste logique. Pour maintenir la cohésion sociale et permettre une bonne intégration des immigrés, mieux vaut donner du travail aux immigrés locaux que faire venir de nouveaux migrants. Sauf si on souhaite former de nouveaux ghettos ethniques et sociaux. Le problème est que le ministre n’agit que pour des raisons politiciennes. Aux manettes depuis 2002, soit en tant que bras droit du ministre de l’Intérieur, du chef de l’Etat ou en tant que ministre, il a mis 9 ans à lancer des mesures concrètes pour adapter l’immigration aux besoins économiques de la Nation après des années de gesticulations médiatiques.

D’autre part, adapter l’immigration aux besoins économiques demande d’avoir des critères transparents. Mais Guéant préfère le bricolage. Selon sa circulaire, les préfets doivent se contenter des enquêtes « besoin de main d’œuvre » (BMO) de Pôle emploi, le texte invitant les préfets à rechercher ces enquêtes.... sur Internet. Aucune consultation large n’est encore prévue pour planifier les besoins à long terme. Rappelons également que des accords bilatéraux avec le Sénégal et la Tunisie, par exemple, fixent d’autres listes de métiers libres d’accès aux immigrés. Autant d’accords qui nuisent aux objectifs de réduction de l’immigration annoncés par Guéant. Sans oublier que les immigrés venant pour des motifs familiaux (regroupement familial, conjoints de Français….) sont dispensés d’autorisation de travail et peuvent donc exercer n’importe quelle profession, cette catégorie représentant un flux d'immigrés plus important que l'immigration de travail. 

Quand le PS de Hollande enterrait un rapport
Réguler et cadrer l’immigration, c’est une vieille lubie de la classe politique française mais jamais réalisée. En 2005, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, proposait que le gouvernement puisse « fixer, en fonction des besoins de l’économie et de nos capacités d’accueil, le nombre de personnes admises à s’installer en France ». Manque de chances, l’idée d’une politique de quotas ne fera pas recette.
 
Le projet du PS évoque une ébauche de planification à moyen terme : « Sur une base triennale, le Parlement dressera le bilan de notre politique migratoire et décidera de ses orientations futures. Collectivités territoriales, partenaires sociaux et associations auront été préalablement associés ». Il rejette en revanche toute politique de quotas.
 
Pourtant, à une époque, le PS était beaucoup plus inventif.  En 2005, sous le magistère de François Hollande, Malek Boutih, alors chargé des questions de société au sein du parti, avait proposé une planification concertée et pluriannuelle du nombre d’immigrés autorisés à séjourner en France. Le contraire de la politique court-termiste et opaque de Guéant. 
 
« Mon point de vue est que les partenaires sociaux, syndicats et patronats, les responsables des politiques de logement, d'éducation, se coordonnent chaque année pour prévoir le nombre d'immigrés dont la France a besoin et qu'elle peut accueillir dignement », disait Boutih sur leMonde.fr, proposant une sélection des immigrés sur des critères professionnels et de nationalité. Là, encore son projet échouera et son rapport mis au placard (comme son auteur).
Tag(s) : #politique
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