Le député Mohamed Brahmi, coordinateur général du Mouvement populaire, a été assassiné jeudi par balles devant chez lui à Tunis. La principale centrale syndicale tunisienne (UGTT) a appelé à une grève générale vendredi et la compagnie Tunisair et sa filiale Tunisair Express ont annoncé l’annulation de tous les vols programmés vendredi.
La transition de la Tunisie vers la démocratie connaît de nouveaux soubresauts avec le meurtre jeudi en début d’après-midi de Mohamed Brahmi, chef d’un petit parti d’opposition de gauche, le Mouvement populaire (Echaâb). De quoi provoquer une crise de régime, comme avait failli le faire l’assassinat de Chokri Belaïd , avocat de gauche le 6 février dernier. Il s’agissait alors du premier meurtre politique connu d’un ressortissant tunisien dans son pays depuis l’indépendance, ce qui avait suscité desmanifestations d’ampleur , la démission du gouvernement et le premier mouvement national de grève depuis des décennies.
La principale centrale syndicale tunisienne (UGTT) a appelé à une grève générale vendredi après ce « crime odieux » et en réponse, la compagnie Tunisair et sa filiale Tunisair Express ont annoncé l’annulation de tous les vols programmés vendredi. Après l’assassinat de Brahmi, des centaines de personnes ont manifesté hier dans le centre de la capitale et en province, notamment à Sidi Bouzid, région natale du député, dont la famille et les partisans accusent les islamistes au pouvoir d’être derrière le meurtre. La nouvelle a secoué les Tunisiens en cette journée chômée marquant le 56e anniversaire de la République et des centaines de personnes ont afflué dans le centre de la capitale pour dénoncer l’assassinat, accusant eux aussi le parti Ennahda, qui a démenti toute implication.
Deux assassinats en six mois
Cet assassinat intervient près de six mois après celui de Chokri Belaïd, une autre figure de la gauche tunisienne. Sa famille avait aussi accusé Ennahda, qui avait là aussi démenti toute implication. Le pouvoir avait imputé ce crime à un groupuscule islamiste radical.
Mohamed Brahmi, député de l’assemblée constituante, a été tué de onze balles tirées à bout portant par des inconnus devant son domicile en banlieue de Tunis. Avec ce deuxième meurtre en six mois « l’assassinat politique fait une entrée fracassante dans le vie tunisienne avec un fort risque de banalisation» et risque de « torpiller le processus démocratique et le redressement économique », explique aux « Echos » l’économiste Rhadi Meddeb, président de l’Institut de perspective économique du monde méditerranéen.
Il estime que cet assassinat « impose une mobilisation de l’ensemble du monde politique, la formation d’un gouvernement d’union nationale ». L’économiste craint que cette nouvelle crise politique n’affaiblisse encore d’avantage la confiance des investisseurs, tant nationaux qu’internationaux, alors que le climat d’investissement s’avère déjà peu dynamique en raison des incertitudes liées à la transition et de la lenteur des travaux de l’Assemblée constituante. Cet évènement pourrait aussi avoir un impact sur le tourisme, un des principaux secteurs d’activité du pays.
La sœur de Mohamed Brahmi « accuse Ennahda, ce sont eux qui l’ont tué », sans toutefois avancer de preuves. « Notre famille avait le sentiment que Mohamed allait connaître le même sort que Chokri Belaïd », a-t-elle ajouté. La famille de Chokri Belaïd avait aussi accusé Ennahda, qui avait démenti tout implication dans le meurtre.
L’ONU demande une « enquête rapide et transparente »
Le président français François Hollande a aussitôt condamné « avec la plus grande fermeté l’assassinat » de Mohammed Brahmi. Dans un communiqué diffusé par l’Elysée, le chef de l’Etat a « demandé que la lumière soit faite au plus vite sur ce meurtre, comme sur celui dont Chokri Belaïd a été la victime il y a moins de six mois ». François Hollande, qui « exprime ses condoléances à (l)a famille » de Mohamed Brahmi, à ses proches et au peuple tunisien », appelle « l’ensemble des forces politiques et sociales tunisiennes à faire plus que jamais preuve du nécessaire esprit de responsabilité pour préserver l’unité nationale et garantir la poursuite de la transition démocratique ».
A Ljubljana (Slovénie) où il accompagne le président Hollande à un sommet inédit des pays des Balkans occidentaux - les États de l’ex-Yougoslavie et l’Albanie, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a également réagi pour assurer que la « France condamn(ait) cet assassinat de la façon la plus absolue ». « Le mode opératoire rappelle ce qui s’était produit avec Chokri Belaïd, il y a moins de six mois », a-t-il dit, en ajoutant: « Nous demandons que la recherche soit la plus rapide et la plus efficace possible contre les criminels ». « Ce que les assassins cherchent à faire, c’est à empêcher la transition démocratique en Tunisie et la recherche de l’unité nationale », a fait valoir M. Fabius.
Un acte « scandaleux et lâche »
Navi Pillay, Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, a quant à elle demandé « une enquête rapide et transparente » sur ce crime. « J’appelle les autorités à lancer immédiatement une enquête rapide et transparente afin de s’assurer que les personnes responsables de ce crime rendent des comptes », a déclaré Mme Pillay, citée dans un communiqué soulignant qu’ »il s’agit du troisième assassinat de cette nature au cours des dix derniers mois ».
Les Etats-Unis ont « vigoureusement » condamné l’assassinat de Mohamed Brahmi, évoquant un acte « scandaleux et lâche ». « Il ne s’agit pas du premier assassinat politique depuis la révolution tunisienne, et il n’existe aucune justification pour de tels actes scandaleux et lâches dans une Tunisie démocratique », a déclaré Marie Harf, une porte-parole du département d’Etat. « La violence n’a pas sa place dans la transition démocratique tunisienne ».
Appelant les autorités à mener une enquête « transparente et professionnelle » pour traduire en justice les auteurs de cet homicide, elle a exhorté « tous les Tunisiens à renoncer à la violence et à s’exprimer pacifiquement ».
Coordinateur général du Mouvement populaire (Haraket Echaâb en arabe), il avait été élu en octobre 2011 es-qualité dans une circonscription de Sidi Bouzid, la ville déshérité du centre-ouest tunisien qui a donné naissance à la première révolte du printemps arabe et dont il est originaire.
Fondateur et secrétaire général de sa formation née après la révolution, il a révélé le 7 juillet qu'il quittait son parti car, selon lui, il avait été infiltré par les islamistes.
Mohamed Brahmi a fait ses premières armes politiques au sein de l'organisation des étudiants arabes progressistes et unionistes avant de créer en 2005 le mouvement unioniste nassérien (du nom de l'ancien président égyptien, Gamal Abdel Nasser), interdit sous Ben Ali.
Il avait été détenu et acquitté dans les années 1980 sous le règne de Habib Bourguiba, le premier président tunisien.
Comme Chokri Belaïd, l'opposant anti-islamiste assassiné le 6 février par balles devant son domicile, Mohamed Brahmi avait intégré le Front Populaire qui regroupe une dizaine de formations nationalistes arabes et de gauche.
Comme lui, il était de tous les combats pour la cause palestinienne et militait pour incriminer la normalisation des relations entre la Tunisie et Israël qu'il voulait voir inscrite dans la future constitution.
Père de cinq enfants, Mohamed Brahmi a été abattu sous les yeux de son épouse et de ses enfants, selon les médias tunisiens.